L'Express. Marianne Payot : "La Bête à chagrin"
Télérama. Christine Ferniot : "Le cœur attrapé"
Le Figaro Madame. Alexandre Fillon : "La Bête à chagrin"
Le Figaro littéraire. Patrick Grainville : "Madame devient Médée"
La Marseillaise. Joséfa Martinez : "Culpabilités"
La Quinzaine littéraire. Agnès Vaquin : "Cruel"
Art Sud. Michèle Gazier : "La Bête à chagrin"
lepetitjournal.com. Johanna Luyssen :"Meurtre dans les calanques"
La Marseillaise. Anne-Marie Mitchell : "De la création littéraire"
Nice-matin. Jean-Pierre Rudin : "Ni tout noirs, ni tout blancs"
Biblio On Line : "La Bête à chagrin"
La République des Pyrénées. Renée Mourgues : "La main du destin"
Le Nouvel Observateur. Claire Julliard : "Une femme trop rangée"
Le Figaro magazine. Isabelle Courty : "La Bête à chagrin"
Sud-Ouest. Isabelle de Monvert-Chaussy : "L'obligation du néant"
Culture & Cie. Laurence Schmitt : "La Bête à chagrin"
La semaine, Metz-Thionville-Moselle. B. Arvet : "La Bête à chagrin"
Lire. Jean-Rémy Barland : "Constant reprend l'avantage"
La Provence. Jean Contrucci : "L'implacable tragédie cousue main par Paule Constant"
livres.izdi.com. Ariane Schwab : "La Bête à chagrin"
La Gazette. Céline Levivier : "Dévastation"
France-info. Philippe Vallet : "La Bête à chagrin"
L'Eclair. Renée Mourgues : ""La Bête à chagrin"
La Gruyère. E.B. : "La Bête à chagrin"
The Lion. Pierre Schavey : "La Bête à chagrin"
Bien dans ma vie. Marie-Christine Luton : "Des paumés en prise aux vicissitudes de l’existence"
La République des Pyrénées. C.-F. :"Réflexions de Paule Constant"
Témoignage chrétien. "La peine des femmes"
Le Soir (Bruxelles). Pierre Mertens : "Souvenir, que me veux-tu ?"
Femme actuelle. Brigitte Kernel : "Trois bonnes raisons de lire... Paule Constant"
Le Point. Franz-Olivier Giesbert : "Le livre du chagrin"
La Vie. Marianne Dubertret : "La Bête à chagrin"
La Voix du Luxembourg. Marie-Laure Rolland : "Tragédie programmée ou fatalité?"
Vient de paraître. Louise L. Lambrichs : "La Bête à chagrin"
Le Monde. Jean-Luc Douin : "Monstres à la barre"
Paris-Match. Jérôme Béglé :"Le thriller psy de Paule Constant"
Famille Chrétienne. Diane Gautret :"Les assassins sont parmi nous"
Autre Sud. Jacques Lovichi :"La Bête à chagrin"
Le Républicain lorrain. Richard Sourgnes : "Des romans pour l'été : La Bête à chagrin"
Le Temps (Tunisie). Khalil Khalsi : "Montée de sang et de larmes"
Revue régionaliste des Pyrénées. Michel Fabre : "La Bête à chagrin"
Peur Noire : "La Bête à chagrin" de Paule Constant
La Bête à chagrin, de Paule Constant.
Des meurtres dont la responsable semble toute désignée.
La romancière démontera pas à pas cette trop grande évidence
Pendant longtemps, on est dans l'incertitude. Cathy est-elle victime ou coupable?
Et, si oui, de quoi ? Le récit se déroule sur un ton volontairement
indifférent, voire froid, tel un compte rendu de greffier. La juge est
du genre revêche. Les agissements de Cathy sont relatés, décortiqués.
Le tout entrecoupé d'avis de psychiatres, de plaidoiries d'avocats. L'atmosphère
est étouffante. Paule Constant, Prix Goncourt 1998, maître ès
huis clos, distille les indices, sème le trouble, joue avec nos émotions.
On sent le drame monter, inéluctable. Bientôt apparaissent les
cadavres...
Tout aurait donc commencé par un coup de sonnette. A la porte de la jolie
maison du bord de plage, Jeff, compagnon de la meilleure amie de Cathy, venu
proposer son aide à la jeune femme. Jeff est obèse, quasi répugnant,
mais Cathy est si seule, si désemparée, qu'elle accepte. Voilà
trois mois, Tony, son mari depuis dix-huit ans, son unique amour, l'a quittée
pour aller vivre avec Malou, leur amie commune. Il leur a fait un enfant, à
toutes deux, en même temps. Alors, la vie bien réglée de
la chef du Service des eaux de Palance s'est effondrée. Sa mère,
agacée, est partie en croisière, la laissant esseulée,
avec Olivier, son aîné, 15 ans, et Camille-Angelo, son bébé.
Cathy a perdu tous ses repères de petite notable de province. La juge
n'en a cure, n'offre aucune compassion. Pour elle, pas de doute: si c'est la
main de Jeff qui a exécuté Tony (le premier mort), c'est bien
la tête de Cathy qui a commandé.
Paule Constant, dont le précédent roman, Sucre et secret,
accompagnait les ultimes semaines d'un condamné à mort, n'est
pas de cet avis. Elle montre la relativité des témoignages, pèse
les responsabilités (la société, la famille), s'interroge
sur la part du destin... Passionnant.
Marianne Payot
La Bête à chagrin
Paule Constant n’est pas un écrivain qui dénonce,
justifie ou tempête, elle se niche dans les cœurs maltraités,
les corps maladroits. Cette fois, il s’agit de Cathy. Cathy voulait tellement
que sa vie soit parfaite – son mariage, son premier enfant, son travail...
Elle aimait repasser en regardant la mer : des gestes précis, le paysage
en toile de fond, hypnotique et reposant. Puis vint le moment de la «
dévastation », comme disent les psychiatres : son mari part avec
Malou, sa collègue de bureau. Cathy est enceinte, Malou aussi. En même
temps et du même homme. Elle ne se réfugie pas vraiment dans la
folie, elle cherche juste quelqu’un pour la rassurer un peu. Et Jeff se
trouve sur son chemin. Un gros type désœuvré qui trouve en
Cathy le prétexte à rendre service. Faire des travaux chez elle,
garder son bébé, amuser l’aîné, tuer le mari.
Nous sommes dans le fait divers, un jour de procès. Cathy a les yeux
dans le vague en répondant à la juge, qui la considère
comme une manipulatrice. Il lui faudrait s’expliquer autrement, reprendre
le fil, depuis l’enfance, quand le bonheur était lisse.
La romancière habite ses personnages. Elle est Jeff, l’enfant battu
devenu un barbare déglingué, un Superman de bazar qui tue en croyant
faire plaisir. Elle est Cathy, celle qui tente de fermer la porte au malheur
en restant prostrée devant son ordinateur, dont le fond d’écran
ressemble à un long fleuve tranquille. Elle est la juge, dont l’opinion
est déjà faite. Elle est l’avocat désemparé.
La Bête à chagrin raconte un désespoir qui fait boule de
neige. Par son écriture pointilliste et sa façon de ne jamais
être sûre de rien, Paule Constant atteint l’impalpable et
trouve les mots pointus pour dire l’abandon, la défaillance. Dans
son précédent roman, Sucre et secret, elle s’interrogeait
déjà sur le sens du mot culpabilité. Aujourd’hui,
elle creuse jusqu’à la racine du malheur, répète
souvent le mot « dévasté » – le mot-clé
de cette histoire, qui glisse de la banalité au cataclysme.
Christine Ferniot
Le Figaro Madame, 6 janvier 2007
La Bête à chagrin, de Paule Constant.
L’héroïne de Paule Constant a bien démarré
dans la vie. Petite fille parfaite, puis écolière modèle,
épouse amoureuse et mère dévouée, Cathy roulait
tranquillement du bon côté de la route. Mais au bout de dix-huit
ans de mariage, son époux, Tony, le roi de la climatisation, a cru malin
de la quitter pour Malou – sa collègue au contentieux du Service
des eaux – alors qu’elle était enceinte de leur deuxième
enfant. Pour ne rien arranger à l’affaire, ladite Malou a accouché
d’un petit garçon, né quelques semaines avant le sien. Patatras!
le château de cartes s’est effondré, Cathy a sombré
dans la dépression, se retrouvant seule avec son bébé et
son fils aîné, Olivier, quinze ans…
Dès le début de ce drame provençal, nous savons qu’il
s’est passé quelque chose de grave, nécessitant l’intervention
d’un avocat, d’un juge et de psychiatres. Nous savons aussi que
Cathy a repris contact avec Lily, une amie d’enfance, laquelle fréquente
Jeff, ancien gendarme qui prétend avoir sauté sur Kolwezi et avoir
perdu femme et enfants dans un accident de voiture. Un géant presque
obèse dont Cathy n’a pas pensé à
se méfier… Menée tambour battant par une Paule Constant
au meilleur de sa forme, cette excellente Bête à chagrin réserve
bien des surprises.
Alexandre Fillon
Le Figaro littéraire, 11 janvier 2007
Madame devient Médée
Quand la trahison fait irruption, une femme tranquille se transforme
en volcan de rage.
UN THRILLER PSY ! L'actualité, après tout, regorge de massacres.
Mais ici, il s'agit d'un carnage du coeur. La vie d'une belle bourgeoise d'Aix-en-Provence,
chouchoutée par le destin, explose quand son mari la quitte pour une
autre. Un adultère de fer, la clé du roman de feu ! Cathy vivait
confinée dans la torpeur de son arbre généalogique et dans
la ouate de sa demeure quand la tornade du temps et celle de la trahison font
irruption !
Le traître, par-dessus le marché, a fait à peu près
simultanément un enfant à sa femme, un autre à sa maîtresse.
Il est moderne et trouve cela plus souple. Mais c'est bien méconnaître
la blessure d'une femme chassée du paradis, dépossédée
symboliquement de son enfant par ce clonage cafouilleux. La bourgeoise idéale
se transforme en volcan de rage et de ruse mortifères. Tuer le transfuge
! Telle est son obsession dardée.
Venger la victime aux abois
Jusqu'ici elle sirotait une vie vague. Alors, l'horreur la booste !
Elle retrouve une copine flanquée de Jeff, un malfrat qui travaille dans
une casse de bagnoles désossées. C'est prometteur ! Le type est
hormonal et velu à souhait. La bête s'entiche de la belle, oublie
son passé de brute, entreprend de rénover la belle baraque de
famille. Mais c'est un bricoleur apocalyptique. Surtout il veut venger la victime
aux abois et ainsi racheter sa malfaisance carabinée. L'oie d'Aix et
le sanglier séraphique !
Paule Constant accouche d'un couple digne de Thérèse Raquin,
pétri de haine, de dégoût, de convoitise et de fascination.
Ces remugles mènent à la Soufrière ! Madame devient Médée
! La romancière niche au coeur de l'intrigue une admirable histoire de
chiens. C'est le nœud affectif, enfiévré de l'affaire. La
bête à chagrin, le chien de toutes nos régressions, double
de toutes nos misères d'amour, incarnation de tous nos naufrages. Chien
vif et chien tué ! Chien cru et chien cuit : vous verrez ! Pénélope
découvre la vie de chien et la colère cannibale.
La Bête à chagrin de Paule Constant, Gallimard.
Patrick Grainville
Midi libre, 12 janvier 2007
Le Chien du crime
Paule Constant, en recherche constante de la justice et du bonheur.
Coupable ou victime? « La justice ne fait pas la lumière, elle
ne va pas jusqu'aux racines du crime » remarque l'avocat de Cathy
au cours d’une conversation avec la juge. Sans états d'âme,
celle-ci vient d’envoyer sa cliente en prison.
Le nouveau roman de Paule Constant, la Bête à chagrin,
peut se lire comme un plaidoyer pour les mal aimés qui mettent le doigt
dans un engrenage de malheurs.
Cathy dont Jeff, un ferrailleur mythomane, est tombé amoureux, appartient
à cette catégorie de gens enfermés dans un rôle tragique.
On dira d’eux : c’est la faute à pas de chance. Comment pourraient-ils
échapper à un destin impitoyable auquel ils se livrent en aveugle?
Lorsque les événements les entraînent à des actions
aux conséquences graves, on sait, par avance, qu’une femme telle
que Catherine Sorbier paiera très cher l’inhumanité de son
existence.
Sa volonté de vengeance n’a pas cessé d'agir sur son comportement
de victime au point d’en faire une coupable monstrueuse vis-à-vis
d'une juge intraitable. Paule Constant, déjà auteur de neuf romans,
en particulier White spirit, Grand prix du roman de l’Académie
française en 1990, et Confidence pour confidence, prix Goncourt
en 1998, trouve les sujets de ses livres dans une société désaxée
qui recherche la justice et le bonheur.
Tous les protagonistes de la Bête à chagrin semblent échappés
d’un fait divers caractéristique d’un monde tout à
coup étranger à une vie normale. La jalousie mortelle qui déchire
le cœur de Cathy abandonnée par son mari Tony après dix-huit
ans de mariage, la conduira à rencontrer Jeff, le compagnon de son amie
Lili. Menant une existence brute et bestiale, Jeff s'incruste chez Cathy, mère
d'Olivier, l5 ans, et de Camille-Angelo, un bébé né en
même temps qu'un autre Angelo, fils de Malou, la maîtresse de son
volage d'époux. Pendant que Jeff s'approprie la maison de sa femme, Tony,
décidé à refaire sa vie, ne se doute pas qu'une épée
de Damoclès le menace.
Sa mort programmée fournit au récit de Paul Constant les ingrédients
nécessaires à une intrigue policière,. Jeff est le tueur
idéal. En abattant Antoine Sorbier avec un fusil de chasse, il prenait
sa revanche sur ses traumatismes d'enfant méprisé qui n'avait
trouvé de réconfort qu'auprès de son chien.
Des années plus tard, en sauvant de l'euthanasie un cabot de la SPA «
dont personne ne veut », il s'associait avec « une
bête à chagrin » pour le meilleur et surtout pour le
pire. Cathy lui ordonna-t-elle d’assassiner Tony ? Cathy a-t-elle tué
son bébé?
Dans cette double affaire prouver la vérité, c’est sonder
des cœurs immolés.
Jean-Claude Lamy
La Marseillaise, 13 janvier 2007
Culpabilités
« La bête à chagrin ». Paule Constant nous
offre ici un superbe roman sur la responsabilité.
« Vous racontez, dit la juge, que tout a commencé par un coup de
sonnette.
Un coup de sonnette brutal, un son strident et métallique, beaucoup trop
puissant dans la maison vide. »
Ce coup de sonnette va longtemps (en fait tout au long des pages de ce roman)
vriller les oreilles du lecteur. Tout comme ce silence qui pèse sur la
vie de Cathy.
Cathy, que Tony a quitté pour aller vivre avec Malou à qui il
a fait un enfant. Cathy enceinte d’un petit Angelo, fils de Tony. Ce coup
de sonnette sonne comme un coup de feu. Un petit fait banal aux conséquences
dramatiques : deux morts. Tony et Angelo.
Et les questions commencent. Qui a tué ? Jeff, cet espèce de monstre
hors norme, au passé fantasmé ? Cathy, la femme délaissée
qui voit ses rêves de tranquillité s’effondrer ?
Jusqu’au bout la question de la responsabilité des uns et des autres
se pose. Jusqu’au bout on penche d’un coupable à un autre.
Le bourreau devient victime. La victime prend des airs de bourreau. Et puis,
de quoi exactement sont-ils coupables ou victimes ?
On étouffe vite, englué dans une histoire où finalement
rien n’est jamais défini ou définitif.
La juge, engoncée dans sa rigidité rappelle sans cesse cette Justice
droite et aveugle. Pour elle, la question est tranchée. Il n’y
a qu’une coupable : Cathy. C’est de toute façon celle dont
elle a envie de croire. Le reste, elle ne l’entend pas.
Et Lily, et Tony, et Malou…. Simples victimes ou responsables et donc
coupables à leur manière ?
Le récit tient du constat d’huissier. La sècheresse de la
plume griffe nos oreilles. Les faits sont distillés au compte-gouttes.
Une image après l’autre. Les voix se croisent sans parvenir à
se rencontrer. Chacun dans sa bulle, chacun dans son monde, chacun avec son
histoire.
Paule Constant joue jusqu’au point final avec le lecteur, lui assénant
au dernier mouvement une estocade fatale. Nos convictions volent en éclat,
pour laisser la place à un malaise indicible.
Est-on vraiment le seul coupable de ses actes ?
Joséfa Martinez
« La bête à chagrin », de Paule Constant,
éditions Gallimard.
La Quinzaine littéraire,
16 janvier 2007
Paule Constant
LA BÊTE À CHAGRIN
Gallimard
Cruel
Les lecteurs de Paule Constant savent combien elle est préoccupée , le mot est faible - par la façon dont se comportent les homme pour faire leur justice. A titre d'exemples, La fille du Gobernator (1) évoque l'enfance d'une fillette auprès des bagnards de Cayenne, et, plus récemment, Sucre et secret (2) met en regard une société américaine d'une noire hypocrisie et l'homme qu'elle a jugé et condamné à parcourir le couloir de la mort.
La « bête à chagrin » est un animal
à quatre pattes : « Le chien est une bête à chagrin,
dit la dame, chaque passant tient au bout d'une laisse une douleur que son corps
ne supporte plus. » Le roman éponyme est un livre très
cruel. Il explore une de ces affaires criminelles sur lesquelles se jettent
les médias et dont les amateurs se repaissent avec gourmandise. La scène
se joue en plusieurs épisodes dans le bureau d'une juge qui instruit
un procès dont on ne connaîtra pas l'issue.
L’instruction d'un tel procès consiste à reconstituer le
film d'événements tragiques en faisant la lumière sur les
faits et gestes des protagonistes. Une série de retours en arrière
doit permettre de raconter cette histoire avec chaque fois plus de précision,
plus de pertinence. Plutôt que de la reconstruire, les interrogatoires
ne s'appliquent-t-ils pas à la fabriquer: « Il n'existe pas
d'histoire réelle mais des histoires imaginées à partir
du réel par chacun de ceux qui les racontent » ? Pratiquement,
il va falloir tenir compte de ce que disent ou taisent les prévenus.
De ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait ou du moins de ce qu'on en apprend.
Même traitement pour ceux qui les connaissent ou les ont connus, pour
ceux qui, de près ou de loin, sont mêlés à l'affaire,
simples témoins ou plus si affinités. Le policier qui a travaillé
sur la scène du crime pense avoir tout compris. Les psychiatres campent
sur leurs expertises. Les avocats ouvrent leurs oreilles et fourbissent leurs
arguments en fonction du jury. La juge a son intime conviction, sorte de camisole
de force qu'elle tente de faire endosser aux présumés coupables:
« Une impression biaisée comme celle de la juge, ou orientée
comme celle des avocats. » Le malentendu, l'incompréhension,
le préjugé, l'erreur partout. Quelles peines envisager et pour
qui? Voilà la bonne question.
La Bête à chagrin concerne l'affaire de Cathy et de Jeff
dont on conçoit aisément que doit être écartée
toute ressemblance avec un fait divers précis. Telle quelle, elle est
pourtant exemplaire. Il y a là ceux qui n'ont rien fait. Cas numéro
un : la mère de Cathy. Son veuvage récent et son troisième
âge alerte lui ont justement inspiré l'envie d'une escapade au
mépris des malheurs de sa fille. Elle la laisse seule pendant ces tragiques
vacances de Toussaint. Lili, l'amie d'enfance si dévouée, n'a
rien fait non plus. Elle n'a rien vu venir, a tout ignoré du déroulement
du drame et pourtant : « Lili fut mise en garde à vue. L'auto,
le fusil, le chien et le tueur, tout venait de chez elle. Son amour pour Cathy
était un mobile suffisant. » Il y a ceux qui l'ont bien cherché.
Le mari de Cathy en tête, un bellâtre sportif, très entreprenant,
totalement fermé à ce qu'il allait advenir de la fragile Cathy
lorsqu'il la quitte, enceinte, pour sa maîtresse, également enceinte
de lui. Cette dernière personne est la collègue de Cathy et le
terme familier dit bien ce qu'il veut dire lui pourrit littéralement
sa vie professionnelle. Et que va faire Cathy de cet encombrant bébé
qu'elle n'aime pas et qui refuse de grandir? Il y a les présumés
coupables. Cherchez la femme : c'est elle : Cathy. Sa mère l'a élevée
en petite fille modèle. On connaît l'intérêt de Paule
Constant pour l'éducation des filles : « Les psychiatres parlent
d'une enfance paradisiaque. Tout son bonheur, Cathy le fait remonter à
son enfance. Et tous les témoignages le confirment, elle a été
une petite fille heureuse, très entourée. » Ses études
l'ont menée à un poste dans la fonction territoriale. Elle ne
lit pas les journaux, ne regarde pas la télévision. Elle vit dans
la maison de ses grands-parents qu'elle aimait. Elle n'a touché à
rien. Elle consacre ses loisirs à l'entretien du linge. Le départ
brutal de son mari et l'étalage qu'elle subit de sa nouvelle vie l'ont
détruite. Pour la juge, cette femme rompue devient contre toute attente
un monstre de préméditation et de manipulation: « Et
c'est la détermination odieuse que vous avez mise à en finir avec
votre enfant qui a accrédité l'idée que vous avez fait
tuer aussi votre mari. » Jeff est le compagnon de Lili. C'est le
coupable idéal, le bon, la brute et le truand. Enfant martyr, il s'est
vengé sur ses propres enfants. Ses années de centrale, il les
maquille sous un récit héroïque qui fait de lui un héros
qui a sauté sur Kolwezi, un collaborateur occulte d'une police parallèle
et Dieu sait quoi encore, alors qu'il est hideux et casse tout ce qu'il touche.
Or rien ne serait arrivé si Jeff n'avait pas rencontre et aimé
Cathy. Une occurrence fatale: « Dans le cas de Jeff et de Cathy, le
destin veillait à ce que la collision ait lieu (...) l'innocence de Cathy
devait s'abîmer avec bonheur dans la fange de Jeff et le mal fatal qui
rongeait Jeff réclamait d'être transfiguré par l'innocence
lumineuse de Cathy. » C'est son avocat qui parle. Les professionnels
de la justice ont de quoi perdre toute objectivité: « L'avocat
demanda que l'on mit fin à un interrogatoire qui n'en était plus
un. » L’affaire paraît impossible à juger, mais
serait-elle la seule de son espèce?
Dans un précédent livre, Paule Constant it l'horreur que lui inspirait
la peine de mort (2). Son combat pour une meilleure justice continue donc. Mais
aussi, pour l'écrivain, quel champ de manœuvres, on n'ose dire quel
terrain- de jeu! Dans La bête à chagrin, il n'y a aucun
pathos, mais la construction savante d'une histoire par glissements progressifs
vers la découverte d'une vérité improbable. À cela
s'ajoutent le décryptage des comportements, la problématique des
rencontres, la tragédie de la vie, de l'amour et de la mort. Cette affaire
n'est plus du domaine de la justice : « II lui dit comme une généralité
combien les histoires étaient plus obscures que leur apparence (...)
La justice ne fait pas la lumière, elle ne va pas jusqu'aux racines du
crime... » S'il en est ainsi, exeat la balance et place à
la fiction!
1. La fille du Gobernator - Gallimard, 1994
2. Sucre et secret - Gallimard, 2003
Agnès Vaquin
Art Sud, premier trimestre 2007
La Bête à chagrin, de Paule Constant
Depuis Ouregano, son premier livre publié il
y a un bon quart de siècle, Paule Constant est restée fidèle
à un certain art du roman dont elle a le secret. Rigueur de la construction,
précision stylistique, et une tension très maîtrisée
de la phrase toute en muscle et en énergie. C’est le monde, les
individus, la vie qui intéressent Paule Constant. Sans complaisance,
lucide et généreuse, elle explore les mouvements des êtres
sans jamais les enfermer dans un intimisme étroit. Avec elle tout est
voyage.Voyage à travers le monde : en Afrique (Ouregano, White
Spirit...), dans l’Amérique de la peine de mort (Sucre
et secret) ; voyage dans le passé, du côté de sa mémoire
de pensionnaire (Propriété privée) ; et ici, avec
La Bête à chagrin, voyage immobile, plongée dans
l’enfer ordinaire d’un meurtre et d’un infanticide.
Cathy, une jeune femme intelligente que son mari, Tony, a abandonnée
enceinte pour aller vivre avec sa meilleure amie, enceinte elle aussi de ses
œuvres, perd tous les repères. Sa vie n’est plus rien. Jeff,
le compagnon de Lili, une de ses vieilles amies de classe, vole à son
secours. Toujours flanqué d’un drôle de vieux chien balafré
qu’il aime de tout son coeur, Jeff le lourdaud, mal dégrossi et
menteur joue les roues de secours auprès de Cathy. Peu à peu,
sans qu’elle y prenne garde, il s’installe dans sa maison, dans
sa vie. Cathy sombre. Non seulement Tony ne reviendra plus mais encore il a
appelé son fils adultérin du prénom d’Angelo que
Cathy avait projeté de donner à leur bébé... Un
jour, on découvre le corps de Tony sauvagement assassiné, puis
celui, sans vie, du bébé de Cathy. Enquête, procès.
Qui est coupable ?
Paule Constant mène à sa manière une éblouissante
contre- enquête. Car pour elle, écrire, c’est sonder le mystère,
donner chair à des mots, des histoires, des silences. L’écriture
voit au delà des apparences, elle révèle parfois ce que
l’on ne savait pas savoir. Lorsque le procès commence, les personnages
de La Bête à Chagrin sont loin de l’instant où
le drame a éclaté. Doubles hébétés de ces
êtres affolés, violents, désespérés qu’ils
furent, ils subissent les interrogatoires. Ils doivent se contenter d’une
existence où leurs mots ne sont jamais que des réponses à
des questionnements judiciaires. Leur sort se joue désormais dans le
langage, nous dit la romancière, qui nous donne à voir et à
entendre l’histoire à travers le regard et la voix de ceux qui,
avocats ou juge, vont décider du sort des inculpés. Quelle est
la vraie histoire de Cathy ? Qui est-elle ? Que peut-être la vie d’une
femme délaissée ? Celle d’un assassin qui ne s’est
jamais consolé des violences de son enfance et qui croit que l’amour
d’une femme s’obtient comme celui d’un chien ? Et eux qui
sont-ils ces juristes pour évaluer la culpabilité des uns et des
autres ?
Roman d’amour et de mort, quête de vérité, enquête,
portrait psychologique, comme les grands romans, La Bête à
chagrin peut se lire de bien des manières. Aux réponses subjectives
et précises qui sont l’apanage de la justice, la romancière
préfère les questions qui sont la force de l’écrivain.
Au terme de ce roman troublant, le lecteur s’interroge : qui est responsable
?
Michèle Gazier
Le petitjournal.com, 19 janvier 2007
Le journal des Français à l’étranger et des francophones
Roman - Meurtre dans les calanques
Une petite ville dans les calanques est le théâtre d'un
infanticide et du meurtre d'un homme. La bête à chagrin, nouveau
roman de Paule Constant, met sobrement en scène l'insoutenable.
Le chagrin qui conduit à la tragédie finale est admirablement
mis en scène par Paule Constant.
C’est l’histoire de deux meurtres. Sous le soleil
insistant de Palance, près de Marseille, Cathy a tué son bébé
et fait tuer son mari, Tony. C'est l’histoire d’un double meurtre
abominable, digne d’une tragédie grecque. Mais comment arrivent
les tragédies ? Celle-ci est d’abord née de la colère
de Cathy, et de son désespoir. Car Tony, mari modèle, sportif,
bon vivant, a failli. Il a fait un enfant à une autre femme, pour enfin
quitter Cathy. Alors Cathy, épouse trompée et abandonnée,
se retrouve seule, enceinte et désolée. En colère donc.
Mais rien ne se serait passé, dit la romancière, si elle n’avait
rencontré Jeff, pauvre fou mythomane et malheureux. Ce vagabond obèse
tombe amoureux de Cathy et c'est par amour pour elle qu'il tue Tony de plusieurs
coups de fusil et s’acharne sur le corps. Et Paule Constant de montrer
que la colère de Jeff vient de loin elle aussi. Enfant maltraité,
il est victime de la cruauté, de la barbarie de ses parents. Le désespoir
de Jeff se nourrit de celui de Cathy. Jusqu’à l’orage. Jusqu’au
procès. Jusqu’au jugement.
Fait-divers
Car il semble que tous les éléments du fait-divers soient réunis
dans La bête à chagrin. Cathy y incarne la femme trompée,
l’épouse bafouée. Jeff, marginal, exclu, joue l’amoureux
transi, jusqu’à la folie. Le bonheur insolent de Tony, sa nouvelle
vie, sa nouvelle épouse, son sourire et sa santé, leur sont insupportables.
Et c’est ainsi que grossit un chagrin qui s’est formé dans
la nuit des temps, (…) un énorme chagrin qui a éclaté
sur Tony.
Ce chagrin, qui conduit à la tragédie finale, est admirablement
mis en scène par Paule Constant. On assiste dans ce roman au procès
des assassins, on entend les accusations de la juge, son scepticisme, son incompréhension.
On entend ses questions, qui ponctuent le récit du drame, comme autant
de doutes sur les chagrins de Jeff et Cathy. Dès la première phrase
du roman cette condescendance malveillante est manifeste. « Vous racontez
», dit la juge, « que tout a commencé par un coup de sonnette
».
Paule Constant, elle, ne juge pas, mais reconstitue en quelques images une tragédie.
Le rythme est fluide, le style poétique. Le titre du roman lui-même
est une jolie image. La bête à chagrin, c’est tout simplement
un chien, celui de Jeff. Il trimballe partout ce compagnon de route, qui devient
l’unique témoin du meurtre. Un pauvre chien à son image,
écorché, battu et apeuré, et que personne n'a le droit
de juger. « Le chien est une bête à chagrin », dit
une inconnue à Cathy, « et chaque passant tient au bout d’une
laisse une douleur que son corps ne supporte plus ».
Johanna Luyssen (www.lepetitjournal.com)
La bête à chagrin, Paule Constant, Gallimard.
http://www.lepetitjournal.com/component/option,com_/Itemid,618/option,content/task,view/id,11243/
La Marseillaise, 21 janvier 2007
De la création romanesque
Née à Gan, dans les Pyrénées-Atlantiques,
Paule Constant est Docteur ès Lettres, spécialiste de la littérature
du XVIIIe siècle, membre de plusieurs jurys littéraires et lauréate
de nombreux prix, dont le Grand Prix du Roman de l'Académie française
en 1990 et le Prix Goncourt en 1998. Elle est une romancière-née
pour laquelle vivre et écrire tendent à se confondre. Son écriture
romanesque ne cesse d'allier fulgurance et rigueur, tension dramatique et sensualité
esthétique, respect de la réalité et audaces de l'imagination.
Si parmi les décors et thèmes de prédilection de ses romans
nous trouvons l'Afrique et l'Amérique du Sud (Ouregano, Balta,
White Spirit, La Fille du Gobernator), l'éducation
des filles et la condition féminine (Propriété Privée,
Le Grand Ghâpal, Confidence pour confidence), c'est
avec Sucre et Secret, publié en 2003, que Paule Constant transgresse
les limites bien gardées des enquêtes bâclées, de
l'erreur judiciaire et du couloir de la mort.
Souvenons-nous de cette phrase admirable prononcée par la protagoniste
: « Je savais qu'il était innocent, cette certitude ne s'analyse
pas, ne se plaide pas. Elle est de l'ordre de la révélation.
» Nous étions alors en Amérique, dans une prison de Virginie,
et la romancière mesurait déjà la force d'un personnage
de pure fiction face à un personnage réel.
Nous sommes désormais dans le sud de la France, et c'est la faculté
de créer des personnages, d'inventer une histoire à partir d'un
monde qui n'en finit plus d'avoir mal à sa justice, qui fait de La
bête à chagrin un livre où l'innocence et la culpabilité
(aussi essentielle qu’énigmatique) se livrent une des plus belles
et féroces batailles de la littérature. Consciente que les balances
de la justice trébuchent, mais ferme dans sa décision de laisser
les lecteurs franchir par eux-mêmes la frontière qui sépare
le doute de l'intime conviction, Paule Constant nous entraîne dans un
univers où la force du paraître et de l'être pèsent
de tout leur poids romanesque. Où le bourreau trouve sa victime et la
victime cherche son bourreau. Où la monstruosité se fait complice
de la vulnérabilité. Où la construction graduelle de chacun
des personnages tend, en un légitime et surprenant paradoxe, à
leur destruction.
S'il est un roman que Patricia Highsmith eût voulu écrire, et Alfred
Hitchcock adapter, c'est bien celui-ci. Il est vrai qu'il puise toute sa force
dans son inquiétante étrangeté, et dans les méandres
de la conscience de tous les protagonistes, y compris la nôtre –
puisque dans la représentation publique de l’enquête, donc
de sa théâtralité, tous les rôles sont distribués,
même celui des lecteurs. En bon metteur en scène de son écriture
romanesque, Paule Constant sait user du faux pour imposer sa vérité,
nous égare (sans jamais toutefois brouiller le sens) pour mieux nous
soumettre à la domination de ses personnages, jamais remis, sans doute,
de l’occupation forcée de leurs espaces, intimes, symboliques et
romanesques.
Kafka disait qu’un livre doit être une cognée pour la mer
qui est gelée en nous. La cognée, c’est la sonnette qui
nous ouvre, dès l’incipit, la porte de La Bête à
chagrin.
Anne-Marie Mitchell
Nice-matin, 21 janvier 2007
Ni tout noirs, ni tout blancs
« La Bête à chagrin
», de Paule Constant (Gallimard)
Le nouveau roman de Paule Constant, qui fut grand prix du roman de l’Académie
française et prix Goncourt 1998, est à marquer d’une pierre
noire, car c’est un livre terrible. Les personnages de cette tragédie
superbement écrite sont présentés dès la première
page par une femme-juge chargée de l’affaire, puis par le policier
et les avocats des principaux suspects, Cathy et Jeff. Le tour de force de l’auteur
est de mettre en évidence les éléments contradictoires
de leur comportement, ainsi que celui de Lily et même de Tony, la victime.
Où est la vérité dans tout cela ?
Paule Constant a voulu écrire un roman policier parfait dans lequel les
protagonistes ne sont ni tout noirs ni tout blancs. La dernière page
du roman fait apparaître une clef…ou plutôt une absence de
clef : « Si Jeff est innocent, dit la juge, si Lili est innocente,
si Cathy est innocente, alors qui est coupable ? ». « Faut-il
un coupable ? demanda l’avocat. Est-ce qu’on accuse le rocher qui
dévale de la colline et écrase tout sur son passage ? Est-ce qu’on
met en accusation le gel, le soleil, l’orage ? Je vais vous dire, il y
a eu un énorme chagrin qui s’est formé dans la nuit des
temps, un énorme chagrin qui s’est nourri de celui de Lili, de
Cathy et de Jeff et qui a éclaté sur Tony. »
« Le chien est une bête à chagrin », dit à
Cathy une dame rencontrée dans un parc, « et chaque passant
tient au bout d’une laisse une douleur que son corps ne supporte plus
». Paule Constant doit penser que certains romans sont, comme les chiens,
les enfants de nos chagrins. Elle a en tout cas réussi le sien.
Jean-Pierre Rudin
Biblio On Line, le site internet des bibliothèques,
22 janvier 2007
Rubrique « Les Livres du mois ».
La bête à chagrin,
de Paule Constant
Paule Constant nous laisse dans l’ignorance, nous interroge.
Seule certitude, un événement grave s’est produit. Cathy
se trouve devant la juge, froide et distante, et est accompagné par son
avocat. Elle nous présente sa version des faits.
Bête à chagrin. Elle a perdu tout ce qui faisait sa vie. Son mari,
Tony, l’a quittée pour sa meilleure amie Malou. Pire, il lui a
fait un enfant qui a pris le nom, pris la place qui revenaient à celui
qu’elle attend. Sa mère ne la comprend pas, l’abandonne.
Surgit alors Lili, son amie d’enfance qui lui présente son compagnon
Jeff. Cet homme obèse serait gendarme et aurait travaillé pour
les services secrets. Il l’écoeure. Mais il est également
tellement rassurant. Présent à ses côtés, il la protège,
la soutient. Il l’aime. Cet amour le pousse à exécuter Tony.
Le rythme est saccadé. Les témoignages se mêlent, la juge,
les avocats interviennent. L’objectivité, les faits sont loin.
Chacun donne sa propre interprétation. Mais Paule Constant s’interroge
également sur la part portée par la famille, la société
et celle du destin dans ce drame. Où se situe la responsabilité
du meurtrier ? Un bon roman où le suspense est toujours présent
et qui nous amène à repenser notre vision de la justice.
Th.
http://www.biblionline.com/actu_litteraire.php?mois=01&an=2007
La République des Pyrénées/L’Eclair
des Pyrénées, 23 janvier 2007
La main du destin
Cathy apprend en même temps sa grossesse et son infortune. Son époux
chéri depuis dix-huit ans, Tony, a fécondé en même
temps sa femme et sa maîtresse et comme si la goujaterie ne suffisait
pas, le cynique abandonne la première pour aller filer le parfait amour
avec la seconde.
Pis encore, le fruit adultérin de la rivale Malou resplendit de beauté,
de santé et de robustesse alors que le bébé de Cathy semble
« plus faible, plus débile ». La seule vision du
nourrisson malingre la plonge dans le « dénigrement de soi
», suscitant même de fantasmes de mort. Dès
lors, plus rien ne sera comme avant. La petite fille modèle, l'écolière
appliquée, la compagne loyale, la mère exemplaire d’un aîné
ce quinze ans et la fonctionnaire irréprochable, l'être parfait
qu’elle s'évertua à façonner perd tout à coup
ses repères et vole en éclats.
Désespérément seule seule, meurtrie, avilie, la jeune femme
trouve du réconfort auprès de 1a placide Lili et de son immonde
Jeff, des asociaux campant près d'une décharge. Dès lors
la terrifiante machine du crime s'ébranle et le sortilège agit
grâce à des mécanismes d’écriture admirablement
maîtrisés.
La description acérée, le rythme flamboyant et la pensée
agile de Paule Constant - dont on se complaît à rappeler les racines
gantoises - suggère, cisèle, livre des clés pour mieux
les reprendre. Elle sait tenir ses lecteurs en otages et en haleine. Les chapitres
s'enchaînent, gros de témoignages, conclusions d'experts, plaidoiries,
dépositions et éléments contradictoires qui égarent,
perturbent, alimentent le doute et ne vous lâchent plus. Deux versions
s'affrontent : Cathy a-t-elle manipulé Jeff jusqu'à lui souffler
l'exécution de Tony ou le monstrueux personnage s'est-il improvisé
justicier pour venger la délaissée ? Tout en entretenant la confusion,
on devine une certaine indulgence de l'auteur à l'égard de l'anti-héroïne
victime d'une éducation psychorigide, de la société forcément
mauvaise, des événements hostiles et pourquoi pas, de la fatalité.
L'ouvrage consommé, on balance entre la religion d'une culpabilité
maléfique et celle de 1'innocence relative parce qu'on n'échappe
pas aussi facilement au doigt inquisiteur du destin. Criminelle par procuration
ou étrangère au meurtre, Cathy et son malheur interrogent car
si l'incommensurable souffrance peut conduire à l’abject, alors
ne sommes-nous pas tous des assassins en puissance ?
Renée Mourgues
La bête à chagrin, de Paule Constant, Gallimard.
Le Nouvel Observateur, 25 janvier 2007
Les raisons d'un succès
Une femme trop rangée
On a reproché à Paule Constant
d'avoir volé le Goncourt à Houellebecq en 1998. Elle prend sa
revanche aujourd'hui.
I l y a un malentendu autour de Paule Constant. Après avoir raté
le Goncourt en 1994 pour son meilleur livre, « la Fille du Gobernator
», elle l'a obtenu quatre ans plus tard pour « Confidence pour confidence
», un ouvrage plus mineur, face aux « Particules élémentaires
» de Michel Houellebecq. Cela lui a valu des critiques sévères
et une polémique qui n'a cessé de rebondir. Il est grand temps
de tourner la page et de passer à la suite. À « la Bête
à chagrin », par exemple. Ce captivant récit, presque un
thriller, raconte comment le malheur s'est engouffré dans la vie d'une
femme sans histoire dont toute l'existence avait justement consisté à
se protéger du monde.
Pendant longtemps, Cathy, mariée depuis dix-huit ans et mère d'un
enfant, s'est contentée de repasser en regardant la mer. Pendant longtemps,
elle a tenu à distance la misère du monde, les informations, les
émotions gênantes. Puis, alors qu'elle s'apprêtait à
accoucher pour la deuxième fois, elle a appris qu'elle était «une
épouse bafouée». Que son mari partait vivre avec Malou,
sa collègue de bureau, à qui il venait aussi de faire un enfant.
Le problème du bonheur, c'est qu'il ne prépare pas aux épreuves.
Cette femme trop rangée n'est pas de taille à affronter pareille
situation. Son univers idéal s'effondre. La rupture provoque en elle
une dévastation psychique. C'est à ce moment-là qu'elle
retrouve Lili, une amie d'école. Celle-ci vit dans un mobile home avec
Jeff, un zonard plutôt rebutant qui s'attache peu à peu à
Cathy. Lui, l'ancien enfant maltraité, se met en tête de s'occuper
de sa maison et de veiller sur elle. Il délaisse Lili pour s'installer
chez sa protégée qui lui confie même la garde de son nourrisson.
«Et la tragédie fatalement s'accomplit», comme l'explique
l'avocat de Cathy.
Car c'est bien une tragédie dont Paule Constant déploie l'impeccable
dramaturgie. Les événements s'y enchaînent - une suite de
rencontres improbables semblant dictées par une obscure nécessité
- pour aboutir à un sacrifice sanglant. Héroïne banale prise
dans un destin trop violent pour elle, Cathy paraît frappée de
cécité. Comment n'a-t-elle rien vu venir ? Comment a-t-elle pu
croire aux élucubrations de Jeff qui se prétend un ancien des
services secrets ? Est-elle la proie crédule d'un malade mental ? Ou
au contraire une manipulatrice qui a attiré un marginal dans ses filets
pour le pousser à accomplir une vengeance préméditée
? Jusqu'au bout, avocats et juges s'interrogent. Mais, au fond, y a-t-il vraiment
un innocent et un coupable dans cette histoire aux multiples interprétations...
Une chose est sûre, c'est qu'une fois commencé on ne peut s'extraire
de ce livre intense et troublant.
« La Bête à chagrin », par Paule Constant, Gallimard.
Catherine Julliard
Le Figaro magazine, 27 janvier 2007
« La Bête à chagrin », roman de Paule Constant, Gallimard.
Lorsque Cathy apprend que Tony la quitte pour leur amie commune Malou, sa vie bascule. Cathy perd pied et d’effondre. Anéantie, plongeant dans la folie, elle trouve réconfort auprès de Jeff, personnage aussi obèse qu’inquiétant. Insidieusement, Jeff s’installe dans sa vie et s’échine à la disloquer. Jusqu’à commettre l’irréparable et à tuer Tony. Si Cathy avait songé à cette mort, jamais elle ne serait allée aussi loin. Pour la juge, rien n’est moins sûr : si la main de Jeff a battu Tony, c’est bien Cathy qui l’a guidée. Dans un huis clos étouffant, avocats, psychiatres et experts questionnent, dépècent les faits, dissèquent les consciences. Et Paule Constant de s’interroger, comme dans son précédent roman, Sucre et Secret, sur le sens du mot culpabilité. Avec brio, elle brouille les pistes, nous égare et pénètre au plus profond du cœur et de l’âme de ses personnages dévastés. Déroutant et brillant.
Isabelle Courty
Sud-Ouest, dimanche 28 janvier 2007
L’obligation du néant
Paule Constant.
Un homme quitte sa femme enceinte, et lui prend jusqu’au
prénom de leur enfant.
Décidément, la dame du Gobernator s’entend
à mettre du mystère dans ses romans, sans pour autant flirter
avec le policier.
C’est un gentil petit couple, Cathy et Tony. Ils attendent un deuxième
enfant. Depuis toujours, ils savent qu’il s’appellera Angelo. Cathy
est une épouse attentive, une mère affectueuse, une amie solide
pour Malou. Qui est enceinte aussi. Laquelle accouchera la première ?
Malou. Et le père de son enfant n’est pas son mari, mais Tony,
celui de Cathy. Monde écroulé. Tony part vivre avec Malou. Et
le petit Angelo, car voilà que, abandonnant Cathy à sa maternité
proche, il oublie qu’Angelo c’était le nom qu’ils avaient
tous les deux choisi. Ainsi, il lui a tout pris, même le prénom
de son fils. Elle en perd la raison, Cathy, et s’enfonce dans une solitude
aiguë. Heureusement, il y a Lili, qui vit dans une caravane au milieu d’une
casse avec son compagnon, un grand gars bourru, Jeff. Lili secoue Cathy, Jeff
l’aide dans les travaux de sa maison laissée en plan par Tony.
Elle est rouée, Paule Constant. Son héroïne glisse doucement,
mais inexorablement, vers l’ultime abandon de soi. On la suit à
petit pas, vers l’abîme effroyable d’un désarroi total
et meurtrier.
Isabelle de Montvert-Chaussy
« La Bête à chagrin », de Paule Constant, Gallimard.
Culture & Cie, 1er février 2007
« La Bête à chagrin », de Paule Constant
Qui peut jurer du destin ? Qui pourrait lutter contre ce tsunami
d’événements où les rencontres improbables appellent
à vaincre la fatalité ? « La Bête à chagrin
», c’est d’abord une plongée dans de tragiques enchaînements
dont le réalisme et la portée psychique nous tiennent en haleine.
Cathy est encore une jeune femme, mariée depuis dix-huit ans à
l’homme qu’elle a toujours aimé lorsqu’elle attend
enfin son second enfant. Quelques mois avant d’accoucher, elle apprend
que son mari a une maîtresse : c’est la femme du meilleur ami de
son mari, son amie à elle aussi. Elles sont enceintes du même homme,
l’autre devrait même accoucher avant elle. Son mari s’installe
avec sa nouvelle femme, appelle leur fils du prénom destiné depuis
toujours au sien et là commence la descente aux enfers.
Qui elle revoit, qui elle rencontre, ce qu’elle dit et à qui, tout
prend une importance différente, anormale. Le pire va arriver, il y a
des morts, il faut un ou plusieurs coupables. Le coupable est-il l’assassin
? La juge est-elle capable de comprendre seulement la personnalité des
inculpés, a-t-elle sinon le temps, la générosité
de se pencher sur des êtres si profondément différents d’elle,
et peut-elle oublier à cette heure sa propre vie ?
Lauréate du prix de l'Académie française en 1990 puis du
Goncourt en 1998, Paule Constant est dotée d'un talent qui n'est plus
à prouver. En plus d’avoir une écriture agréable,
l'auteur nous fait réfléchir, c’est sûr. Le livre
est dense, elle y mène plusieurs enquêtes de front : il y a l’analyse
des faits, l’analyse des coupables, l’analyse de la justice et de
ceux qui sont censés la défendre puis… il reste une profonde
inquiétude. Si les réflexions sont on ne peut plus sombres, elles
sont aussi terrifiantes que réalistes. L’auteur réussit
à nous persuader qu’aucun de nous n’est à l’abri
de devenir un assassin en puissance !
Laurence Schmitt
(l'article avec quelques "extraits choisis" du livre : http://kleos.over-blog.com/article-5474583.html)
La semaine, Metz-Thionville-Moselle, 1er février 2007.
La bête à chagrin, de Paule Constant, aux Editions Gallimard.
La frontière entre la culpabilité et l'innocence
est parfois incertaine et c'est exactement dans cette zone trouble que se situe
le livre de Paule Constant. Après avoir suivi les dernières semaines
d'un condamné à mort dans « Sucre et secret », elle
revient dans les couloirs de la justice, avec ce roman qui se lit comme un thriller.
Une juge reconstitue, avec les témoins et les avocats, un drame qui implique
Cathy, une jeune femme de quarante ans, vivant près de Marseille. Dès
les premières pages, Paule Constant prend du recul face aux convictions
de la magistrate. On ne sait pas tout de suite ce qui est reproché à
Cathy mais on a immédiatement le sentiment que la vérité
se trouve ailleurs, dans un espace ignoré de la justice. D'après
son profil psychiatrique, Cathy a eu une enfance particulièrement heureuse.
Élève, femme, fille et mère modèle, la vie a glissé
sur elle sans traumatisme. C'est peut-être pour cette raison qu'elle développe
une phobie du changement et une forme de psychorigidité qui pèseront
lourd, lorsque son mari partira vivre avec sa meilleure amie enceinte, alors
qu'elle-même attend un deuxième enfant. Incapable de surmonter
cette trahison, enfermée dans une spirale obsessionnelle, elle perd ses
repères et s'enfonce lentement clans une dépression morbide. Elle
refuse de voir dans son histoire, la banalité que ses proches lui accordent,
et va se tourner vers les deux seules personnes qui vivent hors de son monde,
deux marginaux, Lily, une amie d'enfance qui vit dans un mobil home et Jeff,
son compagnon, énorme et gluant, qui se présente comme un ancien
policier. Tout vient de l'enfance, disent les psyhiatres. Pourtant, Cathy et
Jeff, avec leurs passés opposés, idyllique pour l'une, sordide
pour l'autre, se sont attirés comme deux aimants, sentant confusément
qu'ils s'apporteraient la vengeance et le sacrifice rédempteur que chacun
cherchait sans se l'avouer. Leur collision improbable a rendu le crime possible.
C'est l'intime conviction de l'auteur qui en profite au passage pour montrer
la subjectivité des témoignages, les certitudes pré-établies,
le poids de l'éducation et celui du hasard dans la conjonction des événements.
À partir d'un fait divers, Paule Constant se penche sur les mécanismes
qui peuvent transformer un individu ordinaire en monstre et peut-être
aussi le contraire, comment un monstre peut apparaître humain en certaines
circonstances. Malgré une compassion assumée pour Cathy, elle
explore les sources du chagrin, va au-delà des apparences et recherche
des responsabilités que le droit ne peut juger.
B. Arvet
Lire, février 2007
Constant reprend l’avantage
La romancière aixoise surprend avec un sombre thriller métaphysique
A en croire certains, Paule Constant serait un auteur surcoté.
On se souvient que, lors de l'attribution du prix Goncourt 1998 pour son roman
Confidence pour confidence, des voix s'élevèrent pour s'indigner,
suggérant qu'elle aurait raflé son trophée à Michel
Houellebecq dont Les particules élémentaires avaient fait la une
de tous les magazines. Outre que le procès est injuste, l'auteur primé
n'étant pas responsable des voix qui se portent sur son nom, rappelons
au passage que c'est François Sureau que Paule Constant devança
assez nettement lors du tour final. Il n'empêche! Les détracteurs
de la romancière aixoise n'en continuèrent pas moins leur campagne
de dénigrement. Injustice d'autant plus grande que Paule Constant demeure
une remarquable styliste qui prouve encore avec son nouveau roman, La bête
à chagrin, qu'elle sait admirablement agencer un récit sur des
ellipses et des surprises, des dialogues percutants et des réflexions
d'une vive pertinence. « Il n'existe pas d'histoire réelle mais
des histoires imaginées à partir du réel par chacun de
ceux qui les racontent », écrit-elle dans la dernière partie
de La bête à chagrin. Belle définition qui résume
parfaitement et l'ambiance et la savante structure de cet impeccable thriller
métaphysique, vibrant mais sans effets. Paule Constant nous plonge au
cœur d'un procès judiciaire où se mêleront cris et
chuchotements, tristesse, larmes, remords et poids du hasard.
Elle s'appelle Catherine Sorbier, elle ne rencontre autour d'elle qu'injustice
et défaillance, Elle ne croit plus en l'avenir depuis que son mari Antoine
l'a quittée pour une collègue de travail. Il se prénomme
Jeff, il prétend avoir sauté sur Kolwezi lors de la rébellion,
avoir été garde du corps de Mitterrand, mais ne cesse de mentir.
Ils habitent près de Marseille, ils ont tenté de s'aimer et voilà
qu'ils doivent être jugés pour deux meurtres horribles. Ne dévoilons
pas davantage l'intrigue qui fait froid dans le dos. Paule Constant l'enrichit
d'émouvants portraits de tous les protagonistes de l'affaire, membres
de la famille, avocats, magistrat.s, tous unis au final par des blessures de
l'enfance. D'une beauté sombre, La bête à chagrin fouille
les douloureux rapports humains et les liens du sang avec la même audace
que les grands tragédiens classiques. Superbe!
Jean-Rémi Barland
La bête à chagrin, par Paule Constant, Gallimard.
La Provence, 3 février 2007
Drame
L’implacable tragédie cousue main par Paule Constant
Pour son dixième roman, La bête à chagrin, Paule
Constant fait peau neuve et change de genre. Foin du roman autobiographique
ou de l'étude pointue de la nature féminine, 1e Prix Goncourt
1998 se lance dans ce qui ressemble bien à un thriller et pour son coup
d'essai met dans le mille. Rien à voir avec ces romans où la violence
dispense de psychologie. Ici, pourtant quelle angoisse distille cette histoire
où personne n'est tout à fait ni innocent, ni coupable. Chacun
trahit, mais chacun, a des excuses : Cathy l'épouse bafouée dont
l'univers paisible s'effondre et qui sombre dans la folie, Jeff, le psychopathe
ex-enfant maltraité devenu père assassin qui s'est mis en tête
de « protéger » Cathy malgré elle, Tony, l'époux
cavaleur qui la délaisse pour Malou, doublement père de son épouse
et de sa maîtresse, jusqu'à Lili ex-meilleure amie qui se révèle
depuis toujours jalouse de Cathy. En réalité, c'est moins le fond
mauvais des personnages qui conduit à l'implacable tragédie que
tricote Paule Constant sans effet superflu, mais l'addition de tous les chagrins
accumulés par les protagonistes qui finit par faire éclater la
machine infernale de leurs destinées.
Jean Contrucci
La bête à chagrin de Paule Constant, Gallimard.
La Bête à chagrin, de Paule Constant
Peut-on trahir la plus innocente des femmes sans en
subir les conséquences ?
La vie de Cathy s'effondre le jour où Tony, son mari, la quitte pour
vivre avec sa meilleure amie et collègue de travail, Malou. Les deux
femmes sont enceintes du même homme. Mais la traîtresse a quelques
mois d'avance ce qui lui permet, ultime affront, d'usurper le prénom
qu'elle avait choisi pour son fils. Cathy est désemparée, perdue.
Le bébé qu'elle porte en elle et qu'elle attendait depuis si longtemps
n'a plus de raison d'être. Sa souffrance est telle qu'elle se permute
en une violence de sentiments extrême qu'elle peine à contenir.
Heureusement, Lili son amie d'enfance vole à son secours alors que même
sa mère lui a tourné le dos. Lili, qu'elle n'a pas vue depuis
des années, a repris la casse de son père et vit avec un homme
au physique ingrat mais qui la prend aussitôt sous son aile. Leur amitié
est son seul réconfort, « une source dans le désert ».
Mais très vite, celle de l'homme devient encombrante. Il s'est imposé
dans la maison sous prétexte de refaire l'électricité,
il se charge du bébé et de son fils aîné quand elle
est au bureau. Omniprésent, il l'inquiète mais il est aussi la
seule oreille qu'elle ait à disposition. Comment aurait-elle pu deviner
que ce prétendu gendarme est en fait un ex-taulard, enfermé pour
brutalités sur enfants ? Pourquoi n'a-t-elle pas compris qu'il se considérerait
comme son bras vengeur ? Pourquoi doit-elle répondre du meurtre de son
mari et de son bébé devant une juge, prévenue contre elle
? Cathy est-elle le cerveau de l'affaire, une femme perverse et prête
à tout pour se venger ou une femme fragilisée, naïve, trop
aveuglée par sa douleur ? Tout ce qu'elle demandait Cathy, c'était
« la condamnation entière et absolue des amants diaboliques, et
non ce qu'elle avait senti ici et là, une sorte d'indulgence bienveillante
pour cette passion qui leur avait fait braver toutes les lois. Elle aurait voulu
que Tony et Malou fussent mis au ban de la société et ils en attisaient
les fantasmes. Elle se trouvait non seulement dépossédée
de son mari mais de l'assentiment social qui l'avait confortée toute
sa vie, ce qu'elle ressentait comme une double trahison, une double injustice.
»
Paule Constant brosse ici un thriller psychologique intense où chaque
action entraîne une conséquence. Coïncidence, hasard, destin
? On ne peut s'empêcher de se demander si à la place de Cathy,
on aurait fait preuve de plus de méfiance ou du même abandon. «
Faut-il un coupable ? » demandera l'avocat de Cathy.
Ariane Schwab
http://livres.izdi.com/IZDIL_Livre_detail.cfm?IZDIL_Livre_Id=161
La Gazette (Nord-Pas de Calais),
10 février 2007
Dévastation
Au commencement, on ne sait pas. Et puis très vite, fasciné et
effaré, on est saisi par le cas Catherine Sorbier. Dans le bureau de
la juge d'instruction, l'atmosphère est tendue alors qu'au récit
d'une tragédie se mêlent les interventions des témoins,
des avocats et d'un policier. La juge n'a de cesse de revenir à la question
« de savoir qui est le plus coupable: la main qui exécute ou
la tête qui commande ? ». Cathy, accusée de complicité
dans l'assassinat de son mari, Tony, lequel la trompait avec son amie alors
que les deux jeunes femmes attendaient un enfant du même homme ? Ou Jeff,
bras armé de ce drame ? S'ensuivent les portraits croisés de ces
deux êtres que tout sépare et qui n'auraient jamais dû se
rencontrer. Elle, la petite fille trop parfaite, beau milieu, beau parcours,
jeune bourgeoise de province sans histoire et lui, l'enfant maltraité
devenu un monstre qui flirte parfois avec la folie.
En ouverture de son roman, Paule Constant met en scène un interrogatoire
musclé mené par une juge certaine que Cathy a poussé Jeff
à agir. La romancière donne pourtant à voir que les rôles
ne sont pas distribués une fois pour toutes, en posant la seule question
qui vaille: celle de la dualité entre l'innocence et la culpabilité.
Quelle part attribuer au destin dans cette sombre histoire inspirée d'un
fait divers ? Quelles responsabilités reporter sur la société
ou l'entourage des protagonistes ? D'abord froide, puis presque glacée,
la matière de l'auteur se fait dense quand l'innocence d'une femme appelle
la culpabilité d'un homme. Souvent, Paule Constant invite le lecteur
à perdre pied en approchant la complexité de l'âme humaine.
Et tisse, au fil des pages, les ravages de la défaillance et l'abandon.
Dessinant ainsi une désolation qui charrie tout sur son passage.
Céline Levivier
La Bête à chagrin de Paule Constant, Gallimard
France-Info, Livres du monde, 11 février 2007
La Bête à chagrin, de Paule Constant.
Tout oppose innocence et culpabilité. Pourtant, parfois, la réalité est plus subtile, plus complexe. C'est ce que rappelle Paule Constant dans « La bête à chagrin ». Ce roman, écrit à la manière d'un thriller, raconte les meurtres d'un enfant et d'un mari. Sous le sombre soleil des calanques, une tragédie grecque qui est le prétexte pour l'écrivaine, lauréate du Goncourt et de l'Académie Française, de s'interroger sur la justice et sur le destin. Un grand roman.
Philippe Vallet
La Gruyère (quotidien national suisse), 15 février
2007
La bête à chagrin, de Paule
Constant (Gallimard)
Prix Goncourt 1998 (pour Confidence pour confidence), Paule Constant fait preuve
d’un savoir-faire extraordinaire. Cette histoire d’adultère
puis de meurtre, elle aurait pu la raconter simplement, de manière linéaire.
Mais son roman n’aurait pas eu la même puissance. Tout se déroule
autour du procès. Les faits se dévoilent peu à peu: alors
qu’elle est enceinte, Cathy a découvert que son mari avait une
maîtresse et qui attendait aussi un enfant. Elle se réfugie auprès
d’une amie d’enfance, qui lui présente Jeff. Il se dit ancien
militaire, ancien garde du corps et entre dans la vie de Cathy, au point de
vouloir la venger._Paule Constant ne se contente pas de construire l’histoire
de cette vengeance et de son implacable mécanique. La bête à
chagrin fouille au plus profond de ses personnages pour mieux s’interroger
sur la culpabilité: qui sont les victimes, qui sont les coupables dans
cette tragédie? Du coup, non seulement on ne peut lâcher ce livre
une fois qu’on y est plongé, mais, de plus, il ne cesse de nous
hanter une fois terminé. Brillant.
E. B.
The Lion, en français (Québec),
février 2007
Lu pour vous. La bête à chagrin,
Paule Constant (Gallimard)
Nous avions déjà beaucoup aimé les huit précédents
romans de Paule Constant, dont White Spirit (Gallimard – couronné
par trois prix littéraires, dont le Grand prix du roman de l’Académie
française 1990) et Confidence pour confidence (Gallimard –
Prix Goncourt 1998).
L’héroïne de ce neuvième livre, Cathy, est une femme
qui semblait faite pour le bonheur. Famille bourgeoise sans histoire, études
universitaires à Aix, mariée avec Tony depuis dix-huit ans, mère
d’un grand garçon sans problème : une vie lumineuse et lisse.
Jusqu’au jour où, au début d’une grossesse désirée,
son mari la quitte pour Malou, sa collègue de bureau, également
enceinte de Tony. Jeff, sorte de rustre au passé trouble, compagnon d’une
amie de jeunesse de Cathy, lui propose son aide pour des travaux domestiques,
et du baby-sitting. Sa sollicitude va jusqu’à partager sa rancune
vis-à-vis de Tony, qu’il abat à coups de fusil avec la seule
intention de lui rendre un service qu’elle n’a pas sollicité.
C’est l’histoire d’une escalade incontrôlée,
du passage progressif de la désillusion à la haine, de la colère
au désir de vengeance, d’un naufrage de personnages à la
dérive. Les auteurs de cette subtile et perspicace plongée aux
racines du fait-divers, aux sources du malheur, nous émeuvent par leur
proximité et leur soumission au tragique de leur destin.
Paule Constant le dit en évitant le piège du pathos, avec les
mots et le ton justes, ceux qui atteignent le cœur de notre sensibilité.
Pierre Schavey
Bien dans ma vie, mars 2007
Bouleversant. LA BÊTE À CHAGRIN
: des paumés en prise aux vicissitudes de l’existence.
EMOTION. La juge n’a pas la même perception
du dossier que l’avocat et moins encore que les prévenus. Pourtant,
dans cette bien triste affaire, il y a des victimes qui ne sont pas toutes mortes.
La vie peut être synonyme de très grand chagrin. Il suffit qu’un
homme tombe amoureux d’une autre femme, lui fasse un enfant alors que
son épouse elle-même était enceinte, pour que le cours des
destins bascule. Avec infiniment de talent, Paule Constant raconte certaines
choses de la vie.
Marie Christine Luton
"La bête à chagrin", de Paule Constant, Gallimard.
L’Eclair, 1er mars 2007
La bête à chagrin, de Paule Constant (Gallimard)
… Authentique polar par le rythme haletant, l’énigme à
plusieurs entrées et des personnalités glauques à souhait,
le roman inspiré d’un fait divers « retravaillé
» confine à la réflexion philosophique sur la façon
de dire le droit, l’intime conviction, la part de religion et de morale
qu’induit le jugement humain…
Renée Mourgues
La République des Pyrénées, 1er mars 2007
Réflexions de Paule Constant
Ce pourrait être un romain policier, mais sous la plume
scintillante de Paule Constant, née à Gan, le nôtre, sans
« d », i1 devient à la fois un roman de mœurs, de caractères,
une fine étude psychologique, une méditation sur des comportements
et des états d'âme. De cela, on se rend compte très vite,au
fil des pages du nouveau roman de cet écrivain, non pas écrivaine,
le mot n’est pas heureux. Le titre, « La bête à chagrin
», n'indique-t-il pas au lecteur qu'il se trouve en présence d'un
être fragile, Cathy, ne supportant pas le fardeau de la vie et tout ce
» qu'elle impose d’injuste ? La juge- que notre écrivain
féminise comme l'on dit "la ministre », intervenant tout de
suite, on perçoit qu'il va être question d'un ou de plusieurs crimes.
L'habileté fait que, jusqu'à la fin, on est tenu en haleine, pris
sous le charme d’un style propre à Paule Constant, un style aux
effluves délicieux de sa Provence d'adoption où se passe l'action.
On écoute chanter la Durance, souffler le mistral. « Le mistral
avait décapé la terre, essoré l’atmosphère.
Tout était nu, aride, d’une pureté désaccordée
qui hurlait dans le vent. »
Le contre-chant de l’interrogatoire de Cathy laisse entendre son cœur
souffrant depuis que son mari, Tony, l'a trompée avec Malou, collègue
du travail, au point d'avoir eu un enfant d’elle à trois mois d'intervalle
de celui dont Cathy et Tony sont les parents. Son propre enfant, plus malingre
que celui de sa rivale, suscite en elle une « paranoïa latente
mais parfaitement explicable » L'intérêt du roman est
d'expliquer les faits qui se suivent : l'arrivée de Jeff, compagnon d'une
amie de Cathy, Lily, qui vit dans une roulotte; il arrive pour la protéger,
l'aider dans son désarroi. Tout ce que l'on veut savoir sur les personnages,
leur caractère, surgit lentement afin de soutenir l'attention. Chacun
portant en soi un roman, c'est une somme de romans qui se télescopent
pendant que le fil conducteur reste l'interrogatoire de Cathy assistée
de son avocat. On la devine criminelle.
Les faits, les idées, les commentaires sagement dosés apparaissent
comme des parenthèses où l'auteur, par exemple, révèle
son amour des bouledogues, « dont l'intelligence n'est paraît-il
plus à démontrer ». Se souvient-on de celui qui l'accompagnait
à la mairie de Pau lors de l'hommage qui lui fut rendu, en 1998, quand
« Confidence pour confidence » reçut le prix Goncourt ? «
Le chien est une bête à chagrin », dit-elle. S'il
n'y avait que le chien... Alors, qui a tué qui ? Jeff, le marginal, rustre
mais bon, attaché à Cathy, ne supporte pas de la voir souffrir
à cause de l'inconduite de Tony. On comprend son geste à défaut
de l'approuver et saurait-on comprendre celui de Cathy que l'on accusée
d'avoir fait assassiner son mari? Saurait-on la comprendre d'avoir tué
l'enfant?
L'avocat, c'est Paule Constant. À 1a juge elle montre la vérité
in soupçonnée : on réagit « en fonction du poids
de son propre passé et de ses faiblesses cachées ».
Pour comprendre un être, il faut tout connaître de lui, son passé,
ce qu'il a subi. Un criminel peut être innocent. « La justice
ne fait pas la lumière, elle ne va pas jusqu'aux racines du crime.
» Alors, qui est coupable si tout le monde est innocent? L'avocat répond
à la juge : « est-ce qu'on accuse le rocher qui dévale
de la colline et écrase tout sur son passage ? » Il faut réfléchir
à cela comme réfléchit l’écrivain dont «
La bête à chagrin » invite à réfléchir.
C.-F.
« La Bête à chagrin », Gallimard
Témoignage chrétien, 1er mars 2007.
La peine des femmes
Ah non, vous permettez! Rien de politique ici. Simplement un
rapprochement. C'est le hasard qui l'aura voulu : les meilleurs romans de la
rentrée de janvier sont signés par des femmes, Paule Constant
et Marie Ndiaye. Deux écrivain(e)s tout à fait « compétentes
», qui n'ont plus rien à prouver, sauf aux censeurs de mauvaise
foi. Deux auteur(e)s qui savent inventer des histoires puissantes, pleines,
solides et les raconter de main de maître avec énigmes et suspens
à la clé. À lire donc, d'urgence, la première pour
La bête à chagrin, la seconde pour Mon cœur à
l'étroit, deux livres qui se lisent avec un plaisir extrême, décuplé
par le mystère qui nimbe le récit, la menace indécise qui
plane au-dessus des héroïnes, tout à la fois victimes et
parties prenantes d'un obscur destin. Ils racontent tous deux l'épreuve
terrible et singulière que vivent deux femmes mises au pilori, l'une
par une conjoncture où la trahison et le crime ont leur part, l'autre
par une sorte de conjuration incertaine où la rumeur joue et dont le
motif sera tenu secret jusqu'au bout. Au bilan, la peine des femmes, toujours
recommencée. Avec passion dévorante et désir de possession
en filigrane, et assez de demi-abandons pour finir par poser l'éternelle
question : qui subit, qui consent dans les douleurs que s'infligent les humains?
Cela dit, les rapprochements s'arrêtent là. Autant Paule Constant
se tient dans une rigueur, un classicisme sans concession pour sertir parfaitement
son histoire et raconter avec maestria l'égarement meurtrier de Catherine
Sorbier, son héroïne, devant un(e) juge d'instruction; autant Marie
Ndiaye, dans un français certes irréprochable, instille vite le
doute, l'étrangeté, le délire dans le récit qu'elle
fait de la mésaventure très dérangeante de Nadia, institutrice
chassée ou presque de Bordeaux. Quoi qu'il en soit, on n'oubliera pas
Catherine, l'épouse trompée, anéantie, ni Jeff le mythomane,
l'enfant jadis forcé à manger son chien devenu plus cruel qu'une
bête. On n'oubliera pas davantage Nadia et son Ange abandonné à
la mort, et encore moins l'étrange M. Noget qui leur voulait trop de
bien.
La bête à chagrin. Paule Constant Gallimard, 226 p.
Mon cœur à l'étroit. Marie N'Diaye Gallimard, 299
p.
Le Soir (Bruxelles), 2 mars 2007
Souvenir, que me veux-tu ? (Jean Cayrol, Primo Levi, Paule Constant)
...
La culpabilité et son envers, l'innocence et sa relativité : telle
est l'interrogation lancinante, jamais vraiment résolue, qui hante l'auteur
de la Bête à chagrin, (Gallimard). À l'ombre d'une
histoire d'adultères s'ouvre un gouffre dont on n'aperçoit jamais
le fond.
Il y a quelque chose de faulknérien dans cette histoiure où cruauté
et compassion s'entremêlent. Comment le hasard devient fatalité.
Et la candeur, cynisme... Paule Constant ou les ambiguïtés !
Ici, un tribunal n'est plus que le théâtre évasif que déborde
un complot inextricable entre le bien et le mal. Et Dieu dans tout ça
? Où est-il ? Cherchez l'erreur !. J'aime les écrivains qui ont
la courtoisie de vous abandonner à vos questions, tel « cet enfant
perdu sur la plage qui cherche ses parents du côté d'un soleil
qui l'éblouit ».
...
Pierre Mertens
Trois bonnes raisons de lire ... Paule Constant
Le Prix Goncourt 1998 revient avec un roman sur les coulisses d'une séparation qui mène au drame. Brillant.
1) Pour l'histoire, émouvante, qui nous met face
à une femme Cathy, qu se retrouve seule alors qu'elle va mettre au monde
un enfant. Tony, son compagnon, lui annonce qu'il la quitte. Il part vivre avec
Malou, la collègue de bureau de Cathy, à qui il vient aussi de
faire un enfant.
2) Pour le suspense, manié avec subtilité. La rupture va devenir
l'enjeu d'une affaire judiciaire où Cathy devra rendre des comptes. Tout
au long du roman, on découvre l'histoire des uns et des autres, en suivant
le travail d'enquête accompli par la justice. C'est remarquable.
3) Pour la construction, tenue d'une main de maître.
Passé et présent jouent constamment à cache-cache, mais
le fil du récit est si bien tendu qu'on ne s'en aperçoit pas.
l'auteur alterne avec brio suspense et analyse psychologiquedes personnages.
Un roman qui plaira à tous, surtout aux amateurs de polars, avides d'écriture
de qualité.
Brigitte Kernel
La bête à chagrin, de Paule Constant (Gallimard)
Le livre du chagrin
Je mets au défi quiconque a commencé ce livre de ne pas le lire
d'une seule traite, le cœur serré. Paule Constant y a mis un plein
bon Dieu d'amour du monde et des gens, pas mal de suspense et beaucoup de vice.
Aucun pathos, en revanche. « La bête à chagrin », c'est
une histoire à tiroirs où, comme dans l'univers de Spinoza, on
ne sait plus bien qui est bon et qui est méchant. C'est aussi le grand
roman de la souffrance, la souffrance des amours bafouées. On dira que
c'est un livre de femme mais, depuis qu'il a été prouvé
que les hommes sont des femmes comme les autres, il peut être mis entre
toutes les mains. Tous ceux qui ont déjà été trahis,
humiliés ou offensés y trouveront leur content de souvenir. La
« bête à chagrin » -le rôle-titre -, c'est Cathy,
femme trompée qui est tombée enceinte de son mari peu après
la maîtresse de celui-ci. Le décor est planté, la tragédie
est en marche, rien ne pourra l'arrêter. Paule Constant parle des chiens
qui traînent les gens dont ils ont pris en charge « l'angoisse,
la détresse, le deuil ». « Le chien est une bête
à chagrin, dit un de ces personnages, et chaque passant tient
au bout d'une laisse une douleur que son corps ne supporte plus. »
La douleur de Cathy lui est insupportable. Elle cherche à la repasser
au premier venu et ne sait plus où donner de la tête. D'ailleurs,
elle la perd. Elle traverse ainsi le livre comme un canard décapité
qui ne sait pas où il va, mais y va, entre deux soubresauts, jusqu'au
point final. Non seulement Paule Constant raconte comme pas deux mais, en plus,
elle sait brosser des personnages qui prennent vie sous nos yeux. Ce roman incorrect
et pourtant plein de compassion est aussi une réflexion sur la justice.Il
y a gros à parier que c'est Paule Constant qui parle par la bouche de
l'avocat lorsqu'il dit, après le drame, quand le sang a coulé
: « Faut-il un coupable? Est-ce qu'on accuse le rocher qui dévale
et écrase tout sur son passage ? Est-ce qu'on met en accusation le gel,
le soleil, l'orage ? » Telle est la morale de ce beau roman: les
chagrins remontent à la nuit des temps, ils s'attirent mutuellement et
se nourrissent les uns les autres pour éclater finalement sur quelqu'un,
au hasard. Cathy, par exemple.
Franz-Olivier Giesbert
« La bête à chagrin », de Paule Constant (Gallimard,
230 pages).
La Vie, 29 mars 2007.
La Bête à chagrin, de Paule Constant.
Les romans, Paule Constant sait faire. C’est le moins quand on a été
distingué par les plus prestigieux prix littéraires. Sa Bête
à chagrin (quel beau titre !) est un petit bolide avec toutes les
options : suspense, humour, drame, suspense psychologique… On ne se moque
pas de nous. L’histoire en deux mots : Cathy, victime professionnelle
comme il y en a tant, est abandonnée, enceinte, par un époux à
la cruauté adolescente. Il la quitte pour accueillir un autre enfant
à venir, celui qu’il a fait, quelques mois plus tôt, à
la meilleure amie de sa femme. Eplorée, Cathy se trouve alors un ange
gardien tellement douteux que l’affaire est vouée à se terminer
aux assises. Grinçant.
Marianne Dubertret
La Voix du Luxembourg, 30 mars 2007
Tragédie programmée ou fatalité ?
Portrait d’une femme fragile, ou d’une femme fragilisée ?
C’est toute la question qui sous-tend le roman de Paule Constant, «
La bête à chagrin ». Un livre en forme d’enquête
judiciaire autour d’un drame que le lecteur ne va identifier que progressivement.
Au centre du drame, il y a Cathy. Une femme abandonnée par son mari alors
qu’elle est enceinte. Dès lors, tout va aller de travers dans la
vie de Cathy. Jusqu’au drame final, que le lecteur voit arriver inéluctablement,
dans un engrenage qui, pourtant, jusqu’aux derniers instants, aurait pu
se renverse. L’auteur de « Confidence pour confidence » (prix
Goncourt 1998) signe là un nouveau livre d’une sombre intensité,
servi par une économie de moyens stylistiques qui ajoute à la
force d’impact des situations. Cathy est-elle en définitive un
monstre ouune victime ?
Marie-Laure Rolland
Vient de paraître, mars 2007, n°28. (Le bulletin des nouveautés. Ministère des Affaires étrangères)
La Bête à chagrin, Constant Paule.
La psychopathologie de la vie quotidienne a toujours été
une mine inépuisable pour les romanciers et, de ce point de vue, les
éclairages de la clinique analytique ont certainement contribué
à faire évoluer en profondeur le roman classique. C’est
sous ce signe que s’inscrit ce neuvième roman de Paule Constant,
où elle met en scène et en musique une de ces histoires à
la fois banales et terribles qui meublent les colonnes des faits divers : un
double crime, dont l’un au moins est perpétré par la main
d’un marginal affabulateur, et dont les victimes sont un homme et un bébé.
Mais qui a armé la main ? Cathy, la femme bafouée et abandonnée
? L’étrange amie Lili ? Le père violent et criminel ? À
explorer l’affaire que l’auteure éclaire de divers angles
pour en faire percevoir les facettes insoupçonnées, les suspects
se révèlent nombreux, et plus on progresse dans la lecture, plus
croît le sentiment que, dans cette affaire, personne n’est innocent.
Sont-ils pour autant tous également coupables ?
Au fil de l’instruction, menée par une juge qui, face à
certains suspects, peine à conserver la distance nécessaire, se
déploie tout un tissu de relations et d’histoires singulières
d’où émerge, telle l’image dans le tapis de James,
un univers habité d’êtres égarés, animés
de pulsions aveugles, lestés de souffrances immémoriales et mus
par d’incoercibles besoins d’impossible réparation. Maltraitance,
solitude, incompréhension, insondable égoïsme maternel, règlements
de comptes avec l’histoire meurtrière d’enfance, déplacements
de symptômes, passages à l’acte – les humains, sous
la plume de Paule Constant, apparaissent comme les jouets passifs de leur propre
destin et ressemblent à des « bêtes à chagrin »,
ces chiens abandonnés qui portent la trace, sur leur peau et dans leur
comportement, des mauvais traitements subis depuis leur naissance. « Il
est gentil, dit-elle, c’est seulement qu’il est fou parce qu’il
a été maltraité. » Que peut un enfant qui a grandi
trop vite et tout seul, avec un secret que personne ne semble prêt à
entendre, dans un monde incapable de l’aider à supporter l’insondable
chagrin qui le dévore ? Et quand c’est ce souvenir impensé
qui arme sa main pour faire de lui un criminel, doit-on le considérer
comme responsable de ses actes ? Le livre refermé, la question informulée
qui surfile cette histoire reste vive : le monstre, dans cette histoire tragique,
est-il vraiment celui qu’on croit ?
Louise L. Lambrichs
Comment un fait divers devient un mystère mythologique.
Monstres à la barre
LA BÊTE À CHAGRIN de Paule Constant.
Gallimard
Un coup de sonnette dans une maison vide, et le drame commence, insidieusement.
Les éléments d'un tragique malentendu vont se mettre en place,
et favoriser un crime. A moins, et c'est ce que suggère Paule Constant,
qu'aient sommeillé en chacun d'ineffaçables chagrins, prêts
à se réveiller et à vous transformer en bête fauve.
A moins que ces blessures et rancunes aient surgi de la nuit des temps, de l'enfance,
et que, le chagrin des uns se frottant au chagrin des autres, les aléas
d'existences adultes aient provoqué une fission, un déchaînement
fatal. Le coup de sonnette n'aura alors été qu'une étape,
et bien malin qui saura désigner innocents ou coupables.
En quelque sorte, c'est un polar que propose ici, avec talent, la romancière
experte en dévoilements des ravages intimes. C'est un procès qu'elle
met en scène, brossant en creux les portraits des avocats, magistrats,
témoins et accusés, transformant les dépositions en matière
romanesque, s'adjugeant le rôle du plus percutant des experts psychiatres.
Une plaidoirie en forme de suspense psychologique, en empathie avec la suspecte.
Celle-ci, Cathy, épouse amoureuse, mère dévouée,
n'a pas tué Tony, son ex-mari, l'homme qui l'a dévastée
alors qu'elle était enceinte d'un deuxième enfant en la quittant
pour son amie, collègue de travail, également enceinte de ses
œuvres. Est-elle complice? Est-elle responsable d'infanticide, ou le décès
de son bébé par noyade résulte-t-il d'un accident, d'un
moment de folie, d'une réaction inconsciente au viol dont elle venait
d'être victime?
Deux morts, une femme en miettes, habitée par le sens du devoir jusqu'à
l'abnégation, et que l'épreuve de la trahison a poussée
à la psychorigidité, au dénigrement de soi, à l'aveuglement:
voilà l'énigme, de plus en plus noire, explorée par Paule
Constant, qui sait comment un fait divers vire au mystère mythologique.
La Bête à chagrin est une enquête sur « une
femme que des milliers d'avis de recherche ne retrouveront pas ».
Une réflexion, aussi, sur les histoires que se racontent chacun des protagonistes
à partir de leur propre appréhension du réel. A commencer
par celles de Jeff, ancien gendarme, répugnant affabulateur, qui s'est
inventé des exploits à Kolwezi, une mission de garde du corps
de Mitterrand : en fait un père barbare qui s'est emparé du destin
de Cathy jusqu'à se mettre du sang sur les mains. Lui est un monstre,
mais les autres, ils ont tous leurs raisons, tout le monde traîne, au
bout d'une laisse, « une douleur que son corps ne supporte plus
». Il y a des gens, irréprochables, qu'une vie brutalement fracassée
transforme en chiens, sans repères ni raison.
Jean-Luc Douin
Paris-Match, 7 mai 2007
Le thriller psy de Paule Constant
On est très injuste avec Paule Constant. Sous prétexte qu’en
1998 son roman « Confidence pour confidence » a été
couronné par le prix Goncourt aux dépens des « Particules
élémentaires » de Michel Houellebecq, on voudrait lui faire
payer ce crime de lèse-majesté. Pourtant, installée à
Aix-en-Provence, elle est l’un des auteurs les plus discrets et les plus
fins. Elle écrit, anime avec ferveur dans sa ville une université
ouverte qui attire étudiants et anonymes curieux des lettres, et publie
tous les deux ans des livres jamais bâclés, toujours soignés
et subtils. Ce qui l’intéresse par-dessus tout, c’est la
frontière souvent très ténue entre la culpabilité
et l’innocence.
Cette fois-ci le drame se noue au sein d’un groupe de quatre personnes.
Cathy est fonctionnaire à Marseille. Elle tombe enceinte pour la deuxième
fois de Tom qui,presque au même moment fait un enfant à Malou,
l’une de ses amies. Sous le choc, Cathy quitte son mari et tombe entre
les mains de Jeff, un dangereux personnage qui va la traîner plus bas
que terre. Faut-il désigner un coupable ou mettre tout sur le compte
de la fatalité ? Et quand cet engrenage débouche sur deux meurtres,
c’est au juge d’instruction de se prononcer. Jeff, l’enfant
martyr, Cathy la prétendue manipulatrice, Malou, une vraie provocatrice…
Les personnages évoluent et se montrent sur un nouveau visage. Mais la
spirale du malheur les attirent toujours plus profondément. D’un
huis clos pesant dans le bureau d’un juge, Paule Constant fait un livre
palpitant, dont la construction rappelle celle des thrillers. Avec l’écriture
et la finesse psychologique en plus…
Jérôme Béglé
« La bête à chagrin», de Paule Constant, Gallimard
Famille Chrétienne, 15 mai 2007
Les assassins sont pami nous
C'est un roman où l'on s'enfonce toujours plus, où l'innocence
et la culpabilité finissent par se confondre, tant les personnages semblent
murés dans leur souffrance. Cathy roulait tranquillement du bon côté
de la route. Mais, au bout de dix-huit ans de mariage, son époux, Tony,
lui a annoncé qu'il la quittait pour Malou, sa collègue, alors
qu'elle était enceinte de leur deuxième enfant. Et pour compliquer
la situation, Malou a accouché d'un petit garçon, né quelques
semaines avant le sien.
De quoi déprimer en effet. Auteur de neuf romans, dont White Spirit
(Grand Prix de l'Académie française, 1990) et Confidence pour
confidence (Prix Goncourt 1998), Paule Constant se définit comme
un écrivain du huis clos Et La bête à chagrin ne
déroge pas à la règle, nous entraînant dans sa spirale
sans fin de malheurs.
Pas de coup de théâtre, mais un suspense progressif qui avance
à pas feutrés, comme tout ce que Cathy n'avait pas su voir : la
trahison du mari, la déchéance de la vieille copine de lycée,
échouée dans un mobil-home à quelques kilomètres
de chez elle, les fréquentations douteuses de celle-ci...
Des personnages en miroir, qui se renvoient leurs fantasmes d'enfant, des bribes
de procès venant brouiller la chronologie. Et une innocence à
sauver malgré tout, au milieu d'un banal fait divers. Un roman plein
de larmes.
Diane Gautret
La bête à chagrin, par Paule Constant, Gallimard.
Autre Sud, n°37, juin 2007
"La Bête à chagrin",
de Paule Constant, Editions Gallimard.
« La situation était bloquée. On était le 1er novembre,
il était six heures du soir, elle était enfermée en robe
de mariée dans la cuisine avec l'assassin de son mari et de son chien
». Sous la banalité voulue de l'énonciation, la répétition
insistante du verbe d'état, ces deux phrases que l'on trouve à
la page 173 du dernier roman de Paule Constant me semblent admirablement résumer
non seulement la situation dans laquelle se trouve l'héroïne
(tous les protagonistes de cette histoire, dans la tête desquels on entre
sans crier gare, en sont les héros au sens romanesque du terme
et c'est l'un des grands mérites de l'auteur parmi bien d'autres) mais
jusqu'au projet initial d'écriture. Je n'ai pas dit : au sujet. Car,
si étrange que cela paraisse, le sujet n'est pas le plus important. Il
y a de la part de Paule Constant (qui apparaît une première fois,
page 157 comme la dame au chien) une empathie - rarement dépassée
- avec des personnages aussi éloignés d'elle, paraissent-ils,
par leurs origines, leur trajectoire, leur existence présente, leur culture,
leur sexe, leur âge, leur psychologie. Même si elle ne leur consacre
pas un égal nombre de lignes, tous ces vivants existent avec
autant de force, de vérité, de réalité
extérieure à l'auteur, et pourtant elle est en chacun d'eux comme
si, justement, elle était chacun d'eux. Exploit unique, exploration
minutieuse dans laquelle elle entraîne à son tour le lecteur qui
finit par trouver intelligibles les comportements les moins acceptables, les
actes les plus extrêmes. On a dit de ce livre que c'était aussi
un roman policier. À mon avis, il n'en est rien. Et pas davantage un
roman psychologique au sens classique que l'on donne généralement
à cette catégorie en littérature. Pas plus que chacun de
nous, ces personnages ne sont des monstres ; simplement ils sont entraînés
par quelque chose qui les dépasse et qui prend des airs de tragédie
grecque (Médée n'est jamais loin et pas seulement pour
des raisons d'infanticide). Car les faits, aussi odieux puissent-ils paraître,
sont le résultat d'une inéluctable fatalité (pléonasme
?). Pas de meurtriers, pas de bourreaux, simplement des victimes. À certains
moments quelqu'un parle, on ne sait exactement qui. Et pourtant la chose fonctionne,
avance inexorablement. En même temps, les plus petits détails,
les moindres éléments du drame sont donnés, au moment le
plus opportun. De sorte que le tissu se détricote peu à peu jusqu'à
laisser apparaître la peau nue, et la peau à son tour disparaît
pour laisser pointer les os et frémir les viscères. Dès
le début on perçoit - sans qu'il pèse - le formidable travail
d'écriture, de rigoureuse construction, d'ingéniosité
artisanale. Parfois des intrigues « secondaires », des
retours en arrière parfaitement intégrés, des digressions
jamais gratuites viennent opportunément bouleverser le récit centra1.
La multiplicité des regards et des interprétations, le flou de
la réalité, la générosité du propos confèrent
à ce livre, qui pose des questions fondamentales (à réponses
différées) une puissance à mon sens inégalée
depuis - cela en surprendra plus d'un - L'étranger de Camus.
Rien de métaphorique dans ces pages, si ce n'est, bien entendu, la métaphore
majeure du chantier destructeur entrepris par Jeff chez Cathy qui n'en peut
mais, et celle (en filigrane) de la terre promise, havre de salut où
devraient se résoudre toutes les contradictions inhérentes à
l'existence. Donc paradis à jamais perdu de l'innocence et, partant,
problème définitivement en suspens de l'objectivité absolue
(nos tribunaux ne jugent que les apparences, qui ne sont qu'une infime partie
de la vériré), avec, pour corollaire celui, insoluble, de la culpabilité.
Roman maîtrisé de bout en bout qui me pose un problème inattendu
(à moi qui croyais bien la connaître!) sous la forme d'une insidieuse
question que vous vous poserez à votre tour : en fin de « conte
» qui est, vraiment, Paule Constant ?
Jacques Lovichi
Le Républicain lorrain, 5 août 2007
Des romans pour l'été : La bête à chagrin de Paule Constant (Gallimard)
Quand il se noue à l'occasion d'un fait divers, coment débrouiller l'échevveau des relations humaines ? Paule Constant a suivi suffisamment de procès pour se rendre compte que c'est du Pirandello. : chacun - l'accusé, le juge, les parties civiles, les avocats - a sa vérité. Il n'y a pas « un innocent et un coupable, mais des innocences et des culpabilités à profil variable » note-t-elle à propos de Cathy, qui manipuile Jeff (et se fait manipuler par lui) pour qu'il assassine son époux volage. Un roman insidieux, lentement vertigineux, scotchant le lecteur à la dérive de l'héroïne, femme rangée « qui ne vivait que pour le linge propre dans une odeur de verveine », et qui sombre dans la tragédie et la folie.
Richard Sourgnes
Le Temps (Tunisie), 22 août 2007
Montée de sang et de larmes
La bête à chagrin par Paule Constant
La seule manière de parer à l'ennui mortel que peut
exercer en nous un roman policier, serait sûrement l'effort de style amené
par l'auteur. En parlant de style nous pensons évidemment à la
dextérité de l'écrivain - celle qui en fait un, puisqu'un
écrivain sans style percutant (et attachant, il faut se tenir prêt
pour la sortie du nouveau Amélie Nothomb, c'est pour bientôt) n'est
rien d'autre qu'un simple auteur, quelconque - qui est capable de nous faire
digérer une intrigue soporifique grâce à un incroyable tour
de passe-passe stylistique. On aura beau reprocher à Paule Constant la
surestime qui lui est vouée, cela reste de l'estime à juste titre.
Il est possible de se tromper sur le sort d'un écrivain
quand il arrive de lui attribuer une fois un prestigieux prix (désolé
d'y revenir, Amélie Nothomb a reçu une fois le Grand Prix de l'Académie
française, alors que ses derniers romans sont massacrés par les
critiques), mais Paule Constant a reçu le grand prix du roman de l'Académie
française pour "White Spirit" en 1990, le prix de l'essai de
l'Académie française pour "Un monde à l'usage des
demoiselles" en 1987, et le prix Goncourt 1998 pour "Confidence pour
confidence" - ce qui avait fait jaser à l'époque les journalistes
qui s'attendaient à ce que ce soit Michel Houellebecq qui le reçoive
avec "Les particules élémentaires", mais tout le monde
sait aujourd'hui que Houellebecq est le genre d'écrivain qui ne recevra
de prix littéraire que lorsqu'il aura démissionné, en plus
des autres prix "négligeables", mais qui constituent quand
même des consécrations.
Thriller métaphysique
Paule Constant, qui s'est toujours fait éditer chez Gallimard, gratifie
ses lecteurs de rares publications, puisque "La bête à chagrin"
n'est que son onzième ouvrage, depuis la publication de son premier roman
"Ouregano" en 1980. Tant mieux pour elle, comme elle sait comment
préserver son style et être toujours prête à surprendre
son lectorat il n'y a rien de mieux qu'un auteur qui se fait rare, et ce serait
aussi une stratégie pour ne pas être taxé d'"auteur
commercial", ou de "faiseur de best-sellers", ce qui est une
appellation péjorative, même s'il leur est difficile de résister
au plaisir de sortir un livre tous les ans et de réapparaître sur
les étalages des libraires et les colonnes des magazines littéraires.
Retour en force donc pour Paule Constant, avec cette fois-ci un thriller dit
"métaphysique", où elle déploie aussi bien toute
l'ampleur de ses théories concernant la conscience humaine et la complexité
des rapports humains, que l'art de sa plume et son incroyable approche stylistique
qui font d'elle une authentique magicienne des mots. Des gens normaux, une vie
normale, et puis des événements qui font que la vie leur saute
à la figure, et alors l'irréparable est commis, au cœur du
procès et des flash-back, et rien ne changera jusqu'à la dernière
minute, si seulement il était possible que la dernière minute
puisse exister, que ce soit dans la fiction ou la réalité.
L'écrivaine aixoise a choisi de placer ses personnages à Marseille
- on lit les dialogues, mais on ne prend aucun accent. Catherine Sorbier voit
sa vie défiler sous ses yeux quand son mari, Antoine, la quitte pour
Malou, une collègue du travail, choisissant d'assister à la naissance
d'un métisse bâtard qui piquera le prénom de l'autre, Angelo,
lequel naît deux mois plus tard, sans père. Ce sont alors deux
couples déchirés, un nouveau est formé alors que deux individus
sont désormais seuls livrés à eux-mêmes. C'est ainsi
que Lili, l'amie d'enfance de Cathy, présente à cette dernière
son compagnon Jeff, qui prétend avoir sauté sur Kolwezi lors de
la rébellion, avoir été garde du corps de Mitterrand, et
qui porte sur sa poitrine le nom de ses enfants soi-disant morts, alors qu'ils
sont à la DASS. Cet homme, grand mythomane qui ne cesse de nourrir la
naïveté de la maman abandonnée, est censé faire des
réparations dans sa maison, mais elle n'a pas vraiment la tête
sur les épaules pour se rendre compte qu'il est en train de bousiller
son intérieur.
Avec empathie
"Oui, il aurait fallu qu'elle se garde de cet homme, écrit Paule
Constant, lui interdise l'entrée de sa maison, le dénonce à
la police comme potentiellement dangereux. Mais alors il aurait fallu qu'elle
dénonce Lili, qui le lui avait présenté, et tant qu'à
faire sa mère, qui l'avait abandonnée à son triste sort,
et Tony, son mari, qui l'avait trompée et abandonnée au bout de
dix-huit ans de mariage en faisant en prime un enfant à sa meilleure
amie."
Un double crime crapuleux se met en place dans l'histoire, nous ne savons pas
qui est mort, qui a tué, pourquoi l'homicide a-t-il eu lieu, nous remontons
tout simplement la pente alors que le procès avance et que les indices
sont récoltés avec les témoignages. La juge entend et juge,
elle se fie aussi à ses préjugés - il ne faut pas penser
que les juges en sont exempts -, les avocats défendent leurs clients,
celui de Jeff est jeune et attendrissant, celui de Cathy a eu une histoire auparavant
avec la juge, la juge n'est pas très gentille avec Cathy, mais Cathy
n'est pas un ange. Ni un démon.
Paule Constant développe sa théorie sur le relationnel humain
et le passé, que nous dirons "collectif" de chacun, pour décider
dudit crime. Elle use pour ce faire d'une empathie impressionnante et accorde
le bénéfice du doute à chacun des personnages, qu'ils soient
meurtriers, témoins ou juges. Chacun a son histoire et il n'est pas complètement
innocent, ni coupable. Paule Constant a une de ces forces de décrire
le psychisme humain, les euphories, les larmes, l'inconstance, qu'un psychanalyste
en serait réduit au silence...
Khalil Khalsi
Paule Constant, "La bête à Chagrin", Gallimard, 226 pages.
Revue régionaliste des Pyrénées, année 2007
La Bête à chagrin par Paule
Constant (éd. Gallimard)
Ce pourrait être un roman policier, mais, sous la plume scintillante de
Paule Constant, La Bête à chagrin devient roman de mœurs,
de caractères, étude psychologique, méditation sur des
comportements et des états d’âme. L’habileté
de l’écrivain fait que, jusqu’à la fin, on est tenu
en haleine. Peu à peu on découvre les personnages, leurs comportements,
Cathy, qu’interroge « la » juge, l’interrogatoire étant
le fil conducteur du roman, Cathy abandonnée par son mari Tony, qui vient
d’avoir un enfant de sa maîtresse à trois mois d’intervalle
de celui qu’il eut de Cathy. On s’interroge sur Jeff, la marginal
vivant dans une roulotte, protégeant Cathy. A-t-elle tué Tony
? L’a-t-elle fait tuer ? L’avocat de Cathy est Paule Constant. À
« la » juge, elle montre la vérité insoupçonnée
: on réagit toujours en fonction du poids de son propre passé
et de ses faiblesses cachées. Pour comprendre un être, il faudrait
tout connaître de lui. « La justice ne fait pas la lumière,
elle ne va pas jusqu’aux racines du crime. » Réfléchissons
à cela comme réfléchit l’auteur dont La Bête
à chagrin invite à réfléchir.
Michel Fabre.
Peur Noire/Auteurs au suspense intense, 20
octobre 2008
La Bête à chagrin de Paule Constant (Collection
Folio chez Gallimard)
Paule Constant vit à Aix en Provence, auteur d’autres romans…
A mon avis, elle a dû lire des G.J. Arnaud car son écriture, comme
sa manière d’introduire les personnages, et son engagement semblent
sortir tout droit du même moule. Peut-être, c’est son style
tout simplement, sans aucune influence de qui que ce soit… En tout cas
: Bravo ! Une écriture magnifique qui coule de source et qu’on
a du mal à lâcher. C’est vraiment du grand art, des anecdotes
originales où tout le monde en prend pour son grade, une écriture
révolutionnaire !
Résumé de cette superbe histoire : « – Faut-il un
coupable ? demanda l’avocat. Est-ce qu’on accuse le rocher qui dévale
de la colline et écrase tout sur son passage ? Est-ce qu’on met
en accusation le gel, le soleil, l’orage ? Je vais vous dire, il y a eu
un énorme chagrin qui s’est formé dans la nuit des temps,
un énorme chagrin qui s’est nourri de celui de Lili, de Cathy et
de Jeff – c’est bien connu, les chagrins s’attirent –
et qui a éclaté sur Tony. Que Tony quitte Cathy sans qu’intervienne
Jeff, il ne se passe rien. Que Jeff arrive à Marseille et qu’il
ne trouve pas Lili, il ne se passe rien. Mais que Lili présente Jeff
à Cathy et la tragédie fatalement s’accomplit. »
La bête à chagrin est le récit captivant d’un procès,
celui d’une mère de famille, Cathy, dépressive et désespérée,
jugée pour meurtres. Depuis le banc des accusés, Paule Constant
remonte le temps et retrace l’histoire au travers des questions du juge,
fouille les douloureux rapports humains et les liens du sang, où se mêlent
cris, chuchotements, remords et poids du hasard, et nous plonge dans un impeccable
thriller métaphysique.